Lorsque Sharon Geirnaert a perdu son bébé, il y a 9 ans, son monde s’est effondré. Elle ressentait tant d’amour et de tristesse à la fois. En tant que photographe, elle s’est emparée par réflexe de son appareil et a capturé des centaines de clichés de sa petite étoile, Nina. Ces photos sont aujourd’hui son bien le plus précieux. Elles sont réconfortantes et la preuve tangible que Sharon est une maman fière. Un sentiment qu’elle souhaite également pouvoir transmettre à d’autres parents étoiles. À cet égard, Sharon a fondé Au-delà Des Nuages en 2016 avec Anneleen Fransen. Cette ASBL que DELA soutient depuis 2017 vise à offrir à chaque parent d’un enfant étoile en Belgique la possibilité de faire réaliser gratuitement une séance photo de son bébé décédé.
Sharon partage son histoire sur les adieux et le deuil, le souvenir et l’espoir. Et sur la manière dont le fait de chérir Nina lui a donné de l’inspiration et de la force. Voici le récit de Sharon et Nina…
Mon cœur se remplit de joie quand ils la déposent sur ma poitrine. Une adorable petite fille, qui fait de son mieux pour reprendre son souffle, ferme les yeux. La sage-femme secoue doucement Nina pour la réveiller, mais aucun son ne sort de sa bouche. Elle change de couleur et m’est bientôt enlevée. Les sages-femmes la relient à toutes sortes de machines et lui posent un masque à oxygène pour l’aider à respirer. Au moment où les yeux de mon mari trahissent son angoisse, un grand cri envahit la pièce. Elle pleure ! L’atmosphère tendue qui régnait dans la pièce se transforme en un réel soulagement. Même le calme revient... et le silence se fait soudain. Nina ne pleure plus, mais se bat.
On constate rapidement que Nina est née avec une hernie diaphragmatique, plus connue sous le nom d’ouverture du diaphragme. Résultat : ses organes ne sont pas à leur place et ses chances de survie sont faibles. Je peine à y croire. Pas mon enfant, ma fille, pas ma Nina. Le médecin l’examine et tente le tout pour le tout en la plaçant sur la « machine cœur-poumon », avec la perspective d’une lourde opération dès qu’elle sera assez forte. Le passage d’une machine à l’autre demandera beaucoup d’efforts à son petit corps. Nous sommes d’accord, mais nous voulons aussi que son avenir soit vivable.
Je suis dans un état second. Assise sur le lit d’une petite pièce sombre en bas, à côté de l’unité néonatale où est allongée Nina. Je suis ailleurs. Vide. Lasse. Le cœur lourd et rempli d’espoir et de tristesse. Toute lueur d’espoir s’anéantit toutefois lorsque j’entends : « Elle ne s’en est pas sortie ». Des mots que je ne veux pas entendre et que j’ai du mal à croire. J’enfouis mon visage dans mes mains, mais je ne pleure pas. Une souffrance extrême m’envahit. Pourrais-je un jour à nouveau croire en la vie alors que je ne verrai jamais mon enfant grandir ?
On me dépose doucement Nina dans les bras. Son doux visage me fait planer un instant. J’oublie que nous venons de la perdre. J’enfonce mon nez dans ses cheveux noirs et hume son odeur. Je lui donne des centaines de baisers et nous lui murmurons ensemble les mots les plus doux. Un moment qui aurait pu durer une éternité. Je l’allonge sur le ventre sur mon mari. Un magnifique tableau que je me dois d’immortaliser. Je me saisis de mon appareil photo et je prends toute une série de photos. La sage-femme prend également un cliché de nous trois. Malgré mon intense tristesse, je suis convaincue que créer des souvenirs est extrêmement important. Mon appareil photo est rempli d’images de Nina : Nina avec papa, Nina avec moi, ses mains, ses pieds et sa chevelure. Un ami photographe passe pour prendre d’autres photos.
J’en aurais aimé davantage, mais ce ne sera jamais le cas. Pourtant, rien n’a plus de valeur pour moi que les images que nous avons capturées. Elles sont mon bien le plus précieux. Je peux regarder Nina. Je peux la montrer à mes proches. Et ces souvenirs oubliés me font parfois le plus grand bien. La manière dont j’ai peigné ses cheveux après son bain, les vêtements que nous lui avions choisis et son adorable petit nez.
Pendant les neuf années qui se sont écoulées depuis que nous avons accueilli notre fille et que nous avons dû la laisser partir, notre monde ne s’est pas arrêté, même si nous en avons eu l’impression au début. Les premières années, mon processus de deuil consistait à pleurer, écrire, parler à d’autres « paranges », écouter de la musique, regarder ses photos et pleurer à nouveau.
Mais Nina nous a fait oser aller au bout de nos rêves. J’ai quitté mon ancien boulot pour me consacrer à ma passion. J’ai ouvert mon propre studio photo et me suis immergée dans le monde de la photographie de nouveau-nés. La relation entre mon mari et moi est plus forte que jamais, notamment grâce au fait d’avoir appris à relativiser. Les deux enfants en bonne santé que nous avons eus entre-temps n’auraient pas existé si Nina avait survécu...
J’ai trouvé du soutien auprès de nombreux parents étoiles et le peu de photos que ces parents avaient de leur bébé m’a beaucoup étonnée. Certaines images étaient très dures, brutes et froides. J’ai trouvé difficile d’accepter que l’image de votre enfant soit une image que vous craignez de montrer aux autres. Alors que notre enfant fait notre fierté. La photo d’un bébé dans un bassin réniforme, enveloppé dans un tissu stérile ensanglanté... J’ai senti et su que les choses pouvaient être différentes. C’est ce qui m’a poussé à fonder Au-Delà Des Nuages en 2016, avec Anneleen.
J’ai vite compris que les images que j’ai de Nina sont inestimables. Grâce à Au-Delà Des Nuages, nous pouvons faire en sorte que d’autres parents étoiles puissent eux aussi avoir un souvenir concret : une photo de leur enfant étoile. Le fait de pouvoir offrir la même chose à d’autres parents en deuil par le biais de ma passion me réjouit. Et j’en suis encore plus heureuse, 3.000 enfants étoiles et 250 volontaires plus tard. Je suis très fière de dire que ma petite fille a fondamentalement changé mon monde et mon processus de deuil, mais aussi celui des autres.
Lisez également les articles ci-dessous pour plus d'inspiration sur la vie et les adieux.